L’ABA au service de l’accompagnement dans la sélectivité alimentaire

Un exemple de programme (adapté à une situation pour vous donner un exemple, pas un programme transposable à tous évidemment)

Si vous lisez  cet article c’est sans doute que vous accompagnez, en tant que parent ou professionnel-le, un-e enfant ayant un soucis de sélectivité alimentaire. Le sujet est assez délicat et beaucoup de choses sont à prendre en compte donc petit rappel des pré-requis avant toute intervention:

  • les causes somatiques ont-elles été écartées? Comme pour tout comportement gênant au quotidien on veut commencer par écarter les causes somatiques. Un gros aphte dans la bouche, une dent qui fait mal, la liste est longue mais cela reste la première chose à vérifier.
  • est ce que la sélectivité alimentaire fait partie des comportements problèmes que vous souhaitez travailler avec l’enfant maintenant? Professionnel qui vous supervise (psy etc) l’ont mis dans les priorités absolues?  Pour rappel, on ne peut pas tout travailler en même temps.
  • une évaluation a-t-elle été faite? L’évaluation la plus pertinente étant évidemment une analyse fonctionnelle pour déterminer la fonction du comportement qui peut prendre tant de formes type « Juliette jette son assiette parterre quand on la sert », « May-Linn n’accepte que les aliments mixés », « Nicolas ne mange que les féculents de l’assiette puis quitte la table », « Sidonie vomit tous les aliments qui ont une peau comme les petits pois ou les courgettes non épluchées », « Ahmed refuse tous les aliments jaunes ». Parfois certaines évaluations sensorielles peuvent être utiles avant de démarrer un programme ou tout simplement une grille des aliments avec ceux déjà présentés, accepté, refusés, recrachés etc.  Cela peut être une bonne base de départ surtout si vous connaissez bien l’enfant (et n’avez pas 300 euros à mettre dans l’établissement d’un profil sensoriel chez un-e professionnel-le là tout de suite).
  • un objectif clair et atteignable est déterminé. Dire que l’on veut « que l’enfant mange plus de légumes » n’est pas un objectif clair permettant une réelle réussite, que ce soit pour l’intervenant/l’aidant que pour l’enfant. Ex d’objectif: durée (1 mois), personnes concernées (parents à la maison et AESH présent-e sur du temps de cantine à l’école), lieux (école et maison), objectif final donc à la fin du mois (avoir introduit 3 nouveaux légumes mâchés et avalés par l’enfant en quantité de 1 petite cuillère de chaque), déterminer les étapes intermédiaire (réduction progressive de la quantité des aliments favoris, saillance visuelle des aliments en question etc).

Une fois la liste des pré-requis validée par vous et/ou un-e profesionnel-le, je peux vous présenter mon exemple.

Lenny a 5 ans. Il a eu son diagnostic de TSA modéré à 3 ans et a une forte suspicion (un bonheur venant rarement seul) de TDAH. Ses parents sont supervisés (guidance parentale et intervention domicile) par une psychologue diplômée en ABA. A l’école, Lenny bénéficie d’une AESH qui est présente deux jours par semaine, temps de cantine compris. Elle a été formée en ABA et est au courant de l’objectif du mois sur la sélectivité alimentaire de Lenny. Le programme prévu est visible par tous sur le même document partagé, permettant à chacun de préciser les étapes, échecs et réussites mais aussi, si une pause est nécessaire (Lenny n’a pas dormi cette nuit, il est malade, il a vomi ce matin etc).

Au niveau alimentaire, a été évalué ce qui suit: Lenny a une grande préférence pour les aliments mixés (légumes, légumineuses, quand c’est mixé tout passe), refuse tous les légumes non mixés sauf les carottes vapeur et les féculents (pâtes, riz et frites) ainsi que viande et poissons blancs.

On observe lors des repas: il commence par les féculents, mange une bonne partie des protéines animales et un peu de sa purée de légumes. Quand ses parents lui demandent de manger plus de purée il repousse l’assiette, émet des cris stridents et quitte la table. Il revient souvent lorsque l’assiette a été débarrassée et qu’un dessert est posé sur la table ou proposé. 

Suite à une observation (les parents ont filmé les repas à domicile et envoyé les vidéos à la personne qui supervise), il a été déterminé que la fonction des comportements « repousser l’assiette » ainsi que « émettre des cris stridents » et « quitter la table » étaient évitement/échappement. Il a aussi été déterminé que le comportement « revenir à table » avait pour fonction l’accès à un tangible, en l’occurrence un dessert (proposé ou posé sur la table).

D’un point de vue extérieur, beaucoup (les grands-parents, les proches) qu’il s’agit là d’un caprice et qu’il suffira d’utiliser ce dessert tant désiré (sous la forme d’une menace ou d’une promesse) pour que l’enfant mange son assiette. Je le dis encore et encore, en ABA on évite absolument promesses et menaces, pour une raison éthique tout d’abord et d’efficacité sur le long terme ensuite. Donc non, on ne dira pas à Lenny « tu n’auras pas le bon dessert si tu ne finis pas ton assiette! » ou « allez, tu finis ton assiette et tu auras ton dessert préféré! ». Enseigner à un enfant à se forcer, parfois jusqu’à en avoir la nausée, pour obtenir un aliment favori peut avoir des conséquences terriblement néfastes pour le développement de l’enfant, provoquant dans les meilleurs cas des oppositions violentes lors des repas, une aversion du temps à table et dans les pires cas des troubles alimentaires pouvant être dangereux sur le long terme.

Une manière de faire qui pourrait éventuellement permettre de suivre les étapes éthiques d’une intervention en ABA appliquée au repas de Lenny, c’est à dire : 

1. renforcer le comportement adapté (quand il a terminé son assiette avec ses trois bouchées il obtient immédiatement trois nouvelles bouchées des trois aliments présentés)

2. proposer un comportement alternatif (on enseigne le fait de finir trois bouchées qui est un objectif déterminé comme atteignable plutôt que de fuir le repas)

3. réduction du comportement problème: cris, se jeter parterre peuvent être ignorés si se produisent, sans parler, sans ajouter de consigne. On veut que l’enfant soit en réussite. On peut bien sur utiliser le principe de Premack, le fameux “d’abord”, lorsque l’enfant demande plus d’un seul aliment en disant avec un visage ouvert: “ok, d’abord, finis ça”.

L’exemple est fictif et je m’en sers pour illustrer une partie de la variété des procédures que l’on peut mettre en place dans l’intérêt de l’enfant parce que bien manger est aussi un des axes très importants de l’épanouissement physique, mental et social d’une personne et que plus on commence tôt et de façon adaptée, plus on maximise les chances de s’approcher un jour d’une alimentation “normale” et autonome. Après, si votre enfant termine en bobo-bio-vegan-sans gluten je décline toute responsabilité et je vous souhaite un gros budget courses!