Des mères, des chaises et du gros respect
Connaître par cœur l’hôpital Necker « enfants malades », je ne te le souhaite à personne. Savoir exactement où aller, quel bureau choisir pour gagner du temps sur l’administratif, quelle salle d’attente a du wifi, connaître même l’endroit secret de cette miraculeuse prise pour charger l’iPad de l’enfant ou ton portable pour dédramatiser avec les potes sur whatsapp.
Être seule à connaître toutes ces choses en plus du dossier médical de l’enfant. Être seule tout court pour vivre les nouvelles, même quand tu étais en couple finalement parce que toutes les choses à mettre en place et les conséquences, elles seront pour toi et toi seule.
Ici ce sont des femmes que l’on croise, brunes, blondes, noires, voilées, en baskets ou en talons et pour chacune c’est une journée sans travailler, une légitimité au travail qui s’amenuise quand elles ont encore un emploi. Pourtant ces femmes sont les plus performantes, les plus compétentes et les plus résiliantes.
Ces professionnelles hors pair se déplacent avec de gros dossiers, de ceux qui ne vendent pas un projet mais racontent la souffrance de leur enfant en même temps que la leur.
Comme les gens croisés dans la rue avec leur attaché-case semblent tranquilles avec leur stress de présentation de projet à 10h30 devant les huiles de la boîte…
Ici les dossiers déterminent le quotidien et l’avenir de nos tous petits et ni les murs colorés, ni les bénévoles avec leurs chariots de jouets n’arrivent à égayer les visages tendus de ces femmes.
Non il n’est pas question de vie ou de mort, la plupart du temps la douleur est liée à l’usure. Tous les médecins, professeurs qui ont ajouté une ou deux feuilles au gros dossier qu’on trimballe comme une enclume sont autant de journées de travail perdues, d’attente, de questionnement et de solitude.
Elles sont toutes en train d’occuper leurs enfants ces femmes, elles sourient pour eux, jouent avec eux et dégainent la gourde de compote plus vite que leur ombre. Mais ici c’est la salle d’attente des rdv pour voir le professeur spécialisé dans les anomalies chromosomiques et la plupart des enfants ne ressemblent pas à ceux des jolies publicités Monoprix. Des yeux très écartés, des grosses têtes, des enfants « différents ». Un point commun: ils sont tous bien « mis » comme dirait ma grand-mère. Comme si nous toutes voulions que nos enfants soient les plus beaux, le style au secours de la différence physique et physiologique.
Je ne les connais pas mais j’aime toutes ces femmes et nos regards en disent long quand l’une gère une crise de son enfant ou se frotte les yeux de fatigue, on se dit intérieurement « Je connais, je sais ».
Avec les proches ou bien souvent avec le père de l’enfant, aucune compréhension de la sorte puisque le quotidien de l’angoisse est rarement leur fardeau. Leur chance à eux, c’est de voir « le résultat ». Et on nous dira, après ce énième rdv fait seule que « c’est pas si méchant ces deux opérations qu’ils prévoient ». Veinard.